Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Tout ce que se passe au club, les remarques, le comportement des membres ...

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schaltzmann
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Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par schaltzmann » mar. avr. 08, 2025 9:30 pm

Vous me pardonnerez le style un peu brut, mais j'n'ai pas eu le luxe de laisser mon intelligence artificielle pédaler toute la journée pour me pondre un texte à la Montesquieu. Le temps m'a manqué, malheureusement. Alors voilà, c'est cru, c'est direct, mais ça vous dira l'essentiel de cette première journée, difficile, loin de vous tous…

Jour 1 — Bloc C, Cellule 21.

Il devait être 7h15 ou 7h30, la porte s’est refermée comme un couperet. Un claquement sec, final.
Faisait-il encore nuit ? faisait-il déjà jour ? je ne sais plus. De toute façon, ici c'est toujours la nuit. Une nuit gluante, poisseuse, qui pèse sur les épaules comme la culpabilité d'un crime qu'on a pas commis.

Ici, plus de ciel, plus d’heure, plus de temps. Seulement quatre murs suintants, une couche métallique chevillée au béton, un matelas comme un vieux pansement qui a trop servi. L’odeur me prend à la gorge : sueur rance, urine imprégnée, résignation.

Dans le lointain pourtant, cette guitare…
Ecorchée, solitaire, usée jusqu'à l'os….. Un vieux Blues … je le reconnais, Big Bill Broonzy, il me fait du bien …

" Trouble in mind babe I'm blue….but I won't be blue always
Yes the sun gonna shine.... in my back door someday "


C'est pas un blues que l'on joue dans les bars pour émouvoir les vivants. Non. C'est celui qu'on joue les chaînes aux chevilles, le regard noyé dans la poussière des champs. Un chant d'esclave oublié, revenu hanter les murs de ce cachot.

Quelques heures passent. Le matin, ils sont entrés. Trois silhouettes sans visage.

Silence clinique. Uniforme gris. Pas un mot. Juste les gestes, secs, précis, appris dans un manuel. Un de ceux qu'on ne lit qu'avec un sourire pervers. La trique a sifflé comme un solo d'harmonica plaintif. Sur ma nuque. Mes reins. Mes jambes. Pas pour faire mal, non. Pour dresser. Comme on dresse un chien trop fier.

"Tu regardes de travers ? Tu crois que t'es mieux que les autres ?" … Je veux répondre oui ! Mais la matraque répond à ma place…

Ils ne frappent pas comme des bourreaux, mais comme des techniciens. Chaque coup est calibré, chaque geste est une injection de normalité forcée.
Ce qu'ils veulent, ce n'est pas me punir, c'est la conformité. C'est l'effacement. Ils veulent des robots, pas des hommes.

J'ai mordu l'intérieur de ma joue. Refusé de crier, de hurler. Refusé de leur donner ce plaisir.
Un cri, c'est comme un accord majeur dans un morceau de Blues : trop clair, trop net, trop festif. Je reste en mineur, dans les graves, là où les larmes ne font plus de bruit.

A midi, banquet. Un bol en inox, jeté à même le sol. Une tambouille fade, tiède, qui sent le fatalisme. C'est pas de la nourriture, c'est un test de résistance. Je mange. Lentement. Pour ne pas leur donner la satisfaction de me voir flancher.

Autour de moi, les hurlements montent comme une marée. Les murs vibrent des cris des autres. Une porte qui claque. des sanglots. Des râles. Quelqu'un qu'on a sorti de sa cellule. Je sais qui c'est. C'est celui du fond, celui qu'on a brisé. Trop indépendant. Trop vivant. On l'a presque achevé et on l'amène maintenant à l'infirmerie. On va le remettre sur pied. Pour mieux recommencer. La machine tourne. Impassible. Précise. Sadique.

Mais moi ? Moi je tiens. Je me le répète comme un mantra. Ce n'est que le premier jour. Pas question de m'effondrer. Pas encore.

Alors, quand le calme revient, quand ils m’oublient un instant, je laisse mes pensées fuir. Une plage, du sable chaud, un verre de rhum givré au sucre, une tranche de citron vert qui danse au bord. Vous tous avec moi. Et ce soleil… Mon Dieu, ce soleil.

Un riff de guitare lointain me ramène à la réalité. Une plainte lancinante, sale, authentique. Et Elmore James qui pleure ces paroles ...

The sky is crying, look at the tears roll down the street
The sky is crying, look at the tears roll down the street
I'm waiting in tears looking for my baby, and I wonder where can she be ?


Non, je ne suis pas cet homme libre sur une plage lointaine, je suis ce chien de refuge. Celui qu'on a cru pouvoir sauver. Qu'on a confié à une famille aimante mais qu'on a vite rapporté au chenil parce qu'il grognait encore, parce qu'il refusait de faire des pirouettes pour un os.

Je voulais bien faire. Levez la main droite et dites je le jure. J'le jure.

J'ai juste voulu aider. Aider un type bien. Trop bien. Trop pur pour voir venir l'arnaque à deux kilomètres. Une histoire de sentiments trafiqués, de tendresse à crédit. Une fraude, cousue de fils roses...
La fille ? je n'veux pas m'attarder dessus. Une succube. Une voix grinçante, fausse, insupportable, comme un violon qu'on accorde jamais. Elle l'a embobiné. Lentement. Sûrement. Et moi, j'ai flairé le piège. Alors j'ai fait ce que j'avais à faire : j'ai sorti mon imper, ma loupe et ma pipe. J'ai enquêté, gratté, apporté des preuves. J'ai voulu lui ouvrir les yeux avant qu'il ne tombe trop bas.

Je savais que ça me coûterait. Et ça m'a couté.

Un contrôle d'identité, une arrestation.
Pas de procès. Pas de débat. Juste un tampon sur un dossier : " Indocile. impertinent. A redresser."

Mais je ne baisse pas la tête.
Je l'ai fait, pas pour la gloire. Pas pour la Justice.
Pour lui. Pour l'homme qu'il est.
Parce qu'il fallait que quelqu'un se dresse, quitte à tomber.

Je m'accroche maintenant au peu qu'il me reste.
Un moignon de crayon, chapardé pendant une séance du "vivre-ensemble et explication de la tolérance" dont j'ai eu beaucoup de mal à comprendre l'utilité.
Un vieux carnet oublié sous le matelas.

Je n’écris pas pour me plaindre.
J’écris pour témoigner. Pour laisser une trace.
Peut-être qu’un jour, ces mots sortiront d’ici.
Qu’ils glisseront entre les murs, qu’ils voyageront comme une chanson triste.
Et qu’ils diront au monde ce qu’on fait ici, derrière les barreaux du mensonge.

Et cette musique, ce blues. Toujours là, rampant sous la porte, traînant ses notes comme des chaînes… et Robert Johnson qui pleure ……

I went to the crossroad, fell down on my knees
I went to the crossroad, fell down on my knees
Asked the Lord above, "Have mercy, now, save poor Bob if you please"


Et soudain, ça recommence. Je les entends.

Les pas.

Ceux qui cognent le béton avec méthode. Une procession de juges sans robe, de prêtres sans Dieu. Trois, peut-être quatre. Je connais le son exact de chaque botte. Je sais combien de secondes entre chaque choc, combien de pas jusqu’à ma porte.

Ils reviennent.

Je réagis vite. Le carnet, le crayon , planqués à la hâte sous le matelas râpé, derrière un pan de mousse arraché. S’ils le trouvent, c’est l’isolement. Le néant. Mais ce n’est pas la peur qui me pousse à cacher. C’est la stratégie. Tant que j’écris, je suis encore vivant.

Mais je ne retourne pas m’asseoir.

Non.

Je me redresse. Lentement. Je me dresse comme on dresse un drapeau qu’on a voulu brûler. Les bras le long du corps. Le dos droit. Le regard fixe. Ils entreront, ils cogneront. Et alors ? Qu’ils viennent.

Je ne suis pas un chien battu. Je suis le survivant qu’on n’a pas su dompter. Je suis le témoin, debout, les poings fermés.

Et dans ma tête, la voix de Bo Diddley hurle pour moi :

Before you accuse me, take a look at yourself
Before you accuse me, take a look at yourself
You say I've been spending my money on other women
But you've been running with somebody else


Le judas claque. Les verrous coulissent. La poignée tourne.
Je souris à l'intérieur. Pas pour eux. Pour moi. Parce qu'en tant que moi même, je suis encore là.

Ils ouvriront la porte. Et je les regarderai droit dans les yeux.
Qu'ils me battent … encore..et encore…
Je ne fléchirai pas.

Votre très dévoué et irrévérencieux.

Schaltzmann.
Bulle59
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par Bulle59 » mar. avr. 08, 2025 10:03 pm

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Courage Tiens bon !
Bonbonniere68
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par Bonbonniere68 » mar. avr. 08, 2025 10:40 pm

je partage parce que lorsqu'on est gentil on prête...
dimoidonc
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par dimoidonc » mer. avr. 09, 2025 8:37 am

bonjour,
je suis déçue.
Comment celui qui veut être le gardien d'un troupeau de brebis égarées se fait berner pour un lapin de 6 semaines??????
:mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen:
maitreshaolin
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par maitreshaolin » mer. avr. 09, 2025 8:51 am

Dans la savane immense, sous l’éclat du soleil brûlant,
Un roi repose, fier, mais le flanc doucement saignant.
Les arbres frissonnent, témoins d’une bataille,
Et le vent murmure son nom dans chaque faille.
Regarde ses yeux, ce regard profond et fatigué,
Ils racontent mille récits d’une vie à régner.
Le désert a rugi, mais il n’a pas plié,
Le roi est blessé, mais son âme est gravée.
Chaque cicatrice, une médaille, une mémoire,
Chaque goutte de sang, une ode à son histoire.
Les vautours le scrutent, croyant sa fin venue,
Mais le lion n’abandonne pas, il se bat, il continue.
Car dans sa douleur réside une force ancienne,
Le rugissement de l’espoir, d’une puissance souveraine.
La terre tremble encore sous son souffle ultime,
Même à genoux, il reste le roi légitime.
Ô lion, maître des dunes et des plaines dorées,
Ton courage est un chant que nul ne peut ignorer.
Blessé, peut-être, mais jamais détruit,
Tu es l’écho d’un combat, l’éternel cri de vie.PS man on pense a toi n'oublie pas que tu es un lion loll
romane32
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par romane32 » mer. avr. 09, 2025 1:31 pm

Bonjour Mann",

Et voilà ,sommes encore privés de ta présence sur le salon...

J'espère que tu supportes la sentence...Ton enquête a foiré bien que judicieuse!

Franchement je suis un peu déçue de voir que le virtuel soit aussi fourbe voire incompréhensible ...

j'espère que tu as du rhum avec toi et que Rantanplan est auprès de toi ;j'espère aussi que tu es sur une belle île , face à la mer ,dans un hamac

accroché à deux cocotiers...lol


COURAGE hein,

les quelques personnes qui t'apprécient attendent impatiemment ton retour...


A très vite!
tatalisette
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par tatalisette » mer. avr. 09, 2025 4:45 pm

:mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen: :mrgreen:
spring20
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par spring20 » mer. avr. 09, 2025 11:12 pm

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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par nipsca » jeu. avr. 10, 2025 12:00 am

Pour le style j'hésite...Primo Levi, Nelson Mandela ou Martin Gray (aidé par Max Gallo)....ou un savant mélange des trois ?

Dans tous les cas: Hakuna Matata ! :)
blanjean
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par blanjean » jeu. avr. 10, 2025 8:52 am

...

Marmiton était plus adapté pour vous occuper de vos oignons...
tatalisette
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par tatalisette » jeu. avr. 10, 2025 11:29 am

oui lollllllllllllllllll
maitreshaolin
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par maitreshaolin » jeu. avr. 10, 2025 12:58 pm

blanjean et tatalisette je me demande ce que vous chercher,des histoires je pense pffffff
schaltzmann
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par schaltzmann » jeu. avr. 10, 2025 9:04 pm

Je tiens a rappeler que ce récit est une histoire, une fiction, je ne suis pas en prison et toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence.

Jour 2 — Bloc C, Cellule 21

La nuit n’a jamais vraiment commencé. Ni fini. Ici, le temps s’étire comme un élastique usé prêt à céder, et ce matin, il a encore craqué du mauvais côté.

Ce ne sont pas les cris des autres ni les pas des matons qui m’ont empêché de trouver le sommeil. Non. C’est elle. La Chanteuse.

Ils l’ont ramenée, comme un instrument de torture bien rôdé. Pas de sang, pas de coups. Juste elle, et sa voix... Une voix qui ferait cracher sa langue à un sourd. Et ce fichu ukulélé, un jouet mal accordé, gratté par un geôlier possédé.

Elle flotte dans les couloirs comme une star déchue, un vieux souvenir d’elle-même. Bouche immense, peinture criarde sur le visage, silhouette forcée dans des vêtements qui veulent rajeunir ce que le temps a déjà repris. Elle est trop vieille pour jouer les jeunes, mais elle insiste. Talons claquants, posture de diva. Elle y croit, à sa scène. Elle pense qu’elle brille. Mais ce qu’elle fait, c’est qu’elle braille.

Et elle le sait. Elle sait pourquoi elle est là. Elle n’est pas venue chanter. Elle est là pour cogner là où ça ne laisse pas de traces. Arme sonore. Supplément de punition psychologique.

Certainement sélectionnée sur un site de brailleurs amateurs, Smule ou autre, là où la médiocrité des chanteurs rivalise avec l’insoutenable indigence vocale des chanteuses. Et elle, elle a touché le gros lot : voix nasillarde, accent catastrophique, fausset permanent. Une symphonie de douleur.

Et elle s’acharne, toute la nuit. Comme si elle exorcisait un mal qu’elle seule entendait.

Somewhere over the rainbow
Way up high
And the dreams that you dream of
Once in a lullaby, oh


Encore. Encore. Encore.

Pas une pause. Pas un silence.
Elle joue à nous briser. Et elle réussit.

Je l’ai imaginée dans un concours de cris porçins. Même là, elle aurait fini deuxième, simplement parce qu’elle aurait trop voulu gagner. Mais ici, dans ces murs, elle est parfaite pour le rôle. Elle fracasse les nerfs. Elle use le moral.

Elle est le supplice.

Quand 6h30 a sonné, j’ai presque remercié le système. Une délivrance. Fausse, mais bienvenue. La porte s’est ouverte avec ce bruit de fin du monde, et on a dû sortir. En sous-vêtements, alignés comme du bétail. Ils nous inspectent, cherchent des failles. Mais pas de chance pour eux. Mon carnet est resté caché. Mon crayon aussi. Pas une victoire, juste un souffle d’air dans cette pièce sans fenêtres.

Plus tard est venu un colis, comme un cadeau, comme un malentendu. Un carton posé là, sans raison, sans explication. Je le fixe, incrédule. Une erreur ? Un oubli ? Je l’ouvre lentement, presque par défi, comme si j'attendais un piège sous chaque recoin. Et puis je vois le contenu.

Une lime. Une pelle. Une orange.

Là, je comprends. Je devrais pas avoir ça. C’est illicite. Clairement. La lime, c’est pour ronger les barreaux. La pelle, c’est pour creuser. Et l’orange, c’est presque une ironie, la seule couleur ici c'est le gris des murs.

Mais ils m'ont laissé ça. Ils savent que j’ai pas demandé, mais ça, c’est le genre de truc qu’ils aiment faire passer pour une blague pourrie. Pour me faire comprendre que je ne m’évaderai jamais. Ni en grattant une barre de fer, ni en creusant un tunnel. Il n'y a rien à faire ici. Pas de système à briser, pas de défaut dans les murs. C'est une illusion de plus, qu’ils me filent comme on donne une pièce à un chien en cage. Un simulacre d’espoir qu’ils savent déjà tué dans l'oeuf.

Ils n'ont pas besoin de me le dire. C'est dans leurs regards. Dans l’aigreur des matons, le dédain des responsables. C’est leur manière de dire : Ici, t’es à poil, et t’as pas même le droit d’imaginer qu’il y a un coin où tu pourrais t’échapper.

Ils m'ont laissé ça, comme pour rire. Comme pour me dire : "Tu crois vraiment qu'un homme comme toi pourrait sortir de cet endroit ? Pas de chance, mec. Pas ici. Pas maintenant."

Alors je garde la lime. La pelle aussi. Je les mets dans un coin, là où ils ne servent à rien. Une petite touche de noirceur supplémentaire dans ce monde sans nuances. Parce qu’ils m’ont bien eu. Parce qu’ici, il n’y a rien à limer. Il n'y a rien à creuser. Juste des chaînes invisibles qu’on n’a même pas besoin de voir.

En milieu d’après-midi, un surveillant vient me chercher. Il ne parle pas. Il me regarde comme on regarde un sac qui traîne. Je suis. Sans poser de question. Ici, c’est la règle : moins tu dis, moins tu donnes.

" T'as des visites", qu’il dit enfin. Et pendant un dixième de seconde, l’espoir pointe le bout de son nez. Peut-être un visage ami, une parole qui ne tranche pas. Une main qui serre sans broyer.

Mais non.

Ce sont elles.

Les deux avocates de la partie adverse. Deux silhouettes figées dans un moule rigide. Deux vestes bien taillées, deux paires de lunettes aussi froides que leurs regards. Deux naufragées d’un monde administratif qui n’a plus d’âme depuis longtemps.

Elles entrent comme des machines mal réglées, sans grâce, sans chaleur. Elles s’assoient sans même m’adresser un regard, comme si j’étais un spécimen, un objet d’étude dans un bocal. Et puis elles parlent.

Enfin… elles tentent de parler.

Ce qui sort de leur bouche, ce ne sont pas des mots. Juste des sons, vides, sans rien derrière. Des phrases sans sens, comme de la vaisselle qu’on balance contre un mur. Ça tape, ça résonne, ça se brise mais ça ne mène nulle part. C’est du bruit pour remplir l’espace. Des mots aussi utiles que des cloches dans une morgue. Elles se répondent comme des robots qui ont oublié comment penser, un défilement de blabla sans queue ni tête.

C’est comme si elles parlaient en sourdine, sans rien capter de ce qui se passe autour. Des trucs qu’un aveugle et un sourd pourraient échanger sans se déranger.

Je les regarde. Elles s’enlisent dans leur logorrhée monocorde, convaincues d’être redoutables, affûtées, professionnelles. En vérité, elles ne sont que le reflet d’un système qui ne pense plus, qui répète, qui régurgite. Deux ventriloques sans marionnettes. Deux bouches sans pensée.

Et au fond, ce qui les anime vraiment, c’est pas la justice. C’est pas le droit. C’est pas la vérité.
C’est ce petit plaisir sale de voir quelqu’un au sol, et de tourner autour, comme deux vautours un peu séniles, espérant qu’il bouge encore pour pouvoir continuer à l’attaquer.

Elles sourient. Pas de joie. Mais de contentement fade, de cette autosatisfaction que seuls les êtres profondément vides peuvent ressentir quand ils pensent avoir eu raison. Elles se délectent de ma position. Et quand je ne réagis pas, quand je ne m’effondre pas, quand je ne joue pas leur rôle, je les sens s’irriter.

Je leur souris. Simplement. Une esquisse. Pas pour les provoquer. Pour leur montrer que je suis encore là. Et ça, elles ne le supportent pas. Elles ne comprennent pas. L’idée même qu’un homme enchaîné puisse encore avoir une pensée libre les offense. Elles préfèrent les coupables abattus, les accusés soumis.

Elles repartent un peu plus raides encore qu’elles ne sont entrées, comme si le fait que je sois resté debout les avait salies.

Elles iront se plaindre, sans doute. Encore. Dire que je suis arrogant. Insolent. Que je ne coopère pas. Que je leur manque de respect. Et peut-être que demain, on me privera de poisson. Très bien. Je n’aime pas le poisson.

Juste après, d'autres arrivent.

Les vrais. Ceux que j'attendais, ceux qui n’ont rien à prouver. Ceux qui sont là non pas pour juger ou observer, mais pour être là. Point.

Ils ne parlent pas fort. Ils ne posent pas de questions gênantes. Ils s’assoient, sortent un café, un livre, une lettre, un souvenir. Pas de promesse. Juste une présence. Et ça, ici, c’est précieux.

On s’échange des sourires. Des phrases sans importance qui en disent long. Et je sens cette chaleur que même ces murs épais ne peuvent étouffer. Le genre de chaleur qui rallume quelque chose de vivant sous les couches de fatigue et de béton.

Et le soir, le rêve revient… Pas une grande évasion spectaculaire. Juste un Parloir. Un feu. Une table. Des rires. Des mots simples. Des silences vrais. Une poignée d’amis. Une liberté clandestine, volée à ce monde trop froid, trop faux.

Je m’imagine dehors. Non pas pour fuir, mais pour retrouver. Ce qu’on a perdu. Ce qu’on nous a volé. Ce qu’ils n’auront jamais.

Et finalement, en tant que moi même, je vais m'endormir avec cette image.

Et dans cette nuit sans fin, c’est déjà une petite victoire.

Fiat Lux.

Votre très dévoué et irrévérencieux.

Schaltzmann
Dernière modification par schaltzmann le ven. avr. 11, 2025 11:44 am, modifié 1 fois.
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par Bonbonniere68 » jeu. avr. 10, 2025 9:37 pm

Blanjean,

Je ressens une vive inquiétude au sujet de Schaltzmann, car je suspecte qu'il puisse souffrir de troubles émotionnels. J'éprouve des doutes, et en lisant sa prose fictionnelle, il est évident qu'il éprouve une certaine attirance pour moi. Il semble agir de manière à dissimuler ses véritables émotions tout en cherchant à provoquer chez moi une réaction, qu'elle soit positive ou négative, car cela lui procure une forme d'adrénaline, certainement influencé par mes photos...

La veille, il a déclaré, sur le forum de scrabble pro 1, qu'il ferait tout pour me reconquérir et qu'il viendrait me courtiser sous mon balcon. juste avant que son alter ego, n'entre en scène. Son comportement envers elle a été tel qu'elle est partie fâchée, pour une autre raison. Il ne peut donc pas courir après deux hases en même temps...

Je lui ai envoyé le message que je vous ai partagé, avec pour objet : "Pour ne pas mourir idiot..." De mon côté, je relativise. Maintenant que ma lettre est envoyée, je passe à autre chose, d'autant plus qu'il écrit que tout cela n'est qu'une fiction. Que puis-je ajouter sur cet homme ? J'en ai connu de bien meilleurs !

Cependant, permettez-moi de vous exprimer que vous avez réellement attiré toute mon attention, tout comme ceux qui ont mobilisé leur énergie pour me défendre. Je ne souhaite rien de plus que de vous connaître tous davantage. Il y aura quand même eu un bon côté, merci Schaltzmann, l'irrévérencieux !
blanjean
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Re: Nouveau Journal d'un prisonnier politique.

Message par blanjean » ven. avr. 11, 2025 9:17 am

Bonjour Bonbonniere,

Quelle adresse !... Et par la même occasion, quel timbre (de voix je précise) ! Bravo
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